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LES VERLAINIENS

famille est une nichée de chiens. Devant plusieurs hommes je causai tout haut avec un moment d’une de leurs autres vies. Ainsi j’ai aimé un porc. Aucun des sophismes de la philosophie, la folie qu’on enferme, n’a été oublié par moi : je pourrais les redire tous, je tiens le système.

» Ma santé fut menacée. La terreur venait. Je tombais dans des sommeils de plusieurs jours, et levé, je continuais les rêves les plus tristes. J’étais mûr pour le trépas, et par une route de dangers ma faiblesse me menait aux confins du monde et de la Cimmérie, patrie de l’ombre et des tourbillons.

» Je dus voyager, distraire les enchantements assemblés dans mon cerveau.

» Sur la mer que j’aimais, comme si elle eut dû me laver d’une souillure, je voyais se lever la croix consolatrice. J’avais été damné par l’arc-en-ciel. Le bonheur était ma fatalité, mon remords, mon ver. Ma vie serait toujours trop immense pour être dévouée à la force et à la beauté.

» Le Bonheur ! sa dent, douce à la mort, m’avertissait du chant du coq, ad matutinum, au Christus venit, dans les plus sombres villes. »

Le mysticisme guérit le poète de cette folie. Celui que ses condisciples du lycée de Charleroi offensaient jadis du sobriquet de « sale petit cagot », retrouve la foi perdue et du coup prend le parti de fuir la littérature. Mais il a donné des exemples de poésie intuitive et autorisé par ses fantaisies lyriques l’audace des novateurs les moins modérés.

Il a durant cette troisième période prouvé que l’onomatopée pouvait, en l’absence des mots adéquats, suffire à l’expression d’un enthousiasme irrésistible :

Puis, connue rose et sapin du soleil
Et liane ont ici leurs jeux enclos
Cage de la petite veuve ! Quelles
Troupes d’oiseaux, o ia io, ia io ![1]

  1. Les Illuminations : Bruxelles.