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LE SYMBOLISME

maniérisme. Enfin il s’inquiète du néant et tente de pénétrer le mystère de l’au-delà. Il contemple longuement dans les yeux sa chatte blanche, bien peignée, sereine, au joli museau rose et il lui demande :

Où va la pensée, où s’en vont
Les défuntes splendeurs charnelles ?
Chatte, détourne tes prunelles,
J’y trouve trop de noir au fond[1].


Verlaine avait résolu cette énigme par une foi aveugle, un élan superbe vers Dieu ! Cros ne croit pas. Savant, il n’a pas le dédain de la science ; aussi sa résignation ne dure pas. Les consolations qu’il a cherchées lui ont révélé davantage l’impuissance de l’âme humaine à rien pénétrer. Il s’en venge par ce déluge d’ironie mélancolique, si voisine des pleurs sans doute, mais néanmoins acérée, qui retentit dans Résipiscence, Vue sur la cour, Bénédiction, Tableau, Paysage et qui s’élève jusqu’au rictus sardonique dans cet ineffable Intérieur. Au reste, cette irritation véhémente est de courte durée. Le poète retourne à la poésie. Sa colère tombée, il se plonge dans un mirage éperdu et compose ces romances sentimentales, ces complaintes d’un symbolisme naïf et si touchant à cause de sa simplicité. Nocturne, l’Orgue, Rendez-vous, l’Archet. Il écrit ces admirables fantaisies en prose qui closent le Coffret de Santal, cette Distrayeuse où, dans un style miroitant, pailleté, diamanté, s’épanchent les rêveries sensuelles de l’artiste, ce déluge de visions intérieures auquel tant de symbolistes iront après lui « abreuver leurs Muses ». C’est le Meuble où l’on entend par avance, mais avec plus de virilité, les réflexions enfantines de Francis Jammes. C’est le Vaisseau-Piano où Kahn trouvera plus tard le thème initial de ses Palais nomades. C’est enfin le Hareng saur, cette étrange ruade de l’idéalisme contre le

  1. A une chatte.