Si les âmes viriles trouvent dans la joie de vivre une
volupté violente et chantent avec ardeur le bonheur de la
santé, de la force et de l’énergie, la muse de Rodenbach,
« muse pâle des choses mièvres », oublie sa faiblesse à goûter
de subtiles sensations. Elle respire d’anciens parfums ;
elle s’amuse à surprendre de discrètes confidences, à regarder
dans son cadre ancien s’user le pastel d’une mondaine
princière. Elle se réjouit en sourdine de toutes les choses
effacées, impressions et sentiments, odeurs et couleurs qui
doucement viennent émouvoir sa quiétude :
Qui saisira le charme triste
Le charme subtil et dolent
D’un vieux parfum d’ylang-ylang
Dans un fin mouchoir de batiste.
Qui transcrira le bruit charmeur
Des musiques atténuées[1]…
Rodenbach, il est vrai, ne recherche pas la faveur du
grand public. Les sensations ténues, les images subtiles, la
mièvrerie et l’artifice sont plutôt le régal de l’élite. Il ne souhaite
que ses approbations. Il en fait l’aveu dans Mièvreries
II, quand, s’adressant à sa muse, il essaie de préciser
ses goûts :
Toi qui toujours revendiquas
D’une voix lente et maladive
Pour un peu de gloire tardive
Le suffrage des délicats.
Cette ambition l’a gardée de toute originalité rythmique. Son vers est classique, d’une ornementation toujours discrète. Il use de l’alexandrin en l’assouplissant par le jeu des césures et du rejet, jusqu’aux limites tolérables, mais il éprouve rarement le besoin d’en bouleverser la forme tra-
- ↑ L’Hiver mondain : En Sourdine.