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LA GENÈSE DU MOUVEMENT SYMBOLISTE

par l’œuvre des préraphaélites anglais [1]. D’après eux la nature est parfaite. Mais il faut la voir telle qu’elle est, non telle que nous voulons l’apercevoir, car tout grand art, écrit Ruskin, est adoration et cette fidélité à reproduire la nature a seule dans le passé assuré la gloire des plus nobles écoles d’art. Elle seule aussi peut arrêter la décadence et provoquer à nouveau une floraison d’art magnifique. Or, le sentiment de la beauté se confond toujours avec le sentiment moral et avec le sentiment religieux. Les uns et les autres sont les trois aspects de l’unique divinité. « Il faut aller à la nature, recommande Ruskin, sans rien rejeter, sans rien mépriser, sans rien choisir. » L’homme ne peut concevoir qu’un idéal factice. La nature, œuvre de Dieu, est le véritable idéal. La corriger, c’est faire acte d’impiété. Rossetti, Burne Jone, Watts adoptent cette formule. Ils donnent en peinture les chefs-d’œuvre du symbolisme anglais, Dante Gabriel Rosetti quitte le pinceau pour la plume, célèbre sa jeune femme morte après deux ans de mariage et dans ses Ballades et Sonnets [2]chante le premier la « damozel » et la Sainte Vierge. William Morris de son côté croit retrouver la vraie tradition idéaliste au moyen âge, et s’y plonge non sans affectation.

Ce mysticisme de la poésie anglaise accuse même chez certains écrivains une véritable morbidité de l’imagination.

C’est d’une part le diabolisme de Swinburne, c’est d’autre part l’illuminisme du plus bizarre des spiritualistes américains Edgar Poe. En France, Swinburne n’atteint guère le gros public. Son œuvre est surtout connue des lettrés, bien que Catulle Mendès ait déjà publié en 1876 une étude sur les poésies de Swinburne et qu’on trouve dans la République des Lettres du 20 février 1876, un « nocturne » signé de ce poète, ainsi qu’une critique de Mallarmé sur la tragédie d’Erectheus. Par contre, la vogue d’Edgar Poe égale presque celle de

  1. Cf. Milsand, l’Esthétique anglaise. Étude sur John Ruskin. Paris, 1864, in-8.
  2. Traduction française en 1881.