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MORÉAS

donné. Le poète se borne à peindre ses sentiments et ses sensations sans essayer de traduire derrière eux des affinités, des concordances ou des analogies autres que celles qui surgissent naturellement à l’esprit. Il tend même à choisir, parmi ses émotions personnelles, celles qui sont les plus générales à tous les hommes, de façon à n’exprimer en lui qu’un état d’âme de l’humanité. Son art, essentiellement subjectif à l’origine, atteint, à force de généralisation, à une objectivité rationnelle qui fait du poète, non plus le chantre de ses propres émotions, mais l’écho inspiré de la société dans laquelle il vit. C’est là proprement le but de l’art classique. Moréas y conforme sa conception ; il ne s’agit plus de symbole, d’une obscurité plus ou moins géniale, mais de sentiments philosophiques d’une élévation assez haute pour valoir au poète qui les fixe dans ses vers, l’honneur de se voir comparer aux plus grands maîtres de la pensée moderne, d’être même appelé le Vigny du xxe siècle.

À cette purification de l’idée correspond, dans les Stances, une épuration parallèle de la langue et du rythme. Le moyen âge n’épand plus ses parfums archaïques sur cette poésie qui vise maintenant à l’austérité. Désormais, Moréas dédaigne les « grâces et mignardises de l’âge verdissant ». Les innovations verbales du xvie siècle n’y trouvent pas davantage place heureuse. Plus de termes rares, plus d’épithètes surannées. Nulle dérivation ni grecque ni latine. Est-ce à dire que la langue n’ait plus rien de roman ? Non. Elle n’est pas la langue habituelle aux écrivains de notre époque. Elle a quelque chose de plus sobre, de plus pur, de plus traditionnel, de plus classique. Elle laisse sentir sa parenté avec la langue de nos pères, au point parfois de la croire écrite par un Français qui se serait endormi à l’époque de Corneille et de Racine pour se réveiller brusquement au début de notre siècle, et qui, profondément ignorant des révolutions littéraires écoulées durant son sommeil, porterait parmi nous l’enchantement de ce style expressif et clair, grâce auquel la