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MORÉAS

maintenir à la rime quelques licences. Avec son goût manifeste de l’archaïsme et des tournures chères aux écrivains du xvie siècle, Moréas a l’air d’un classique de la Renaissance qui s’acheminerait par étapes à l’école de Malherbe.

4. Il en franchit le seuil en inaugurant sa quatrième manière. Ce poète que la noble Athènes a nourri, mais qui est aussi l’élu des nymphes de la Seine, n’est heureusement pas un ignorant. Il s’aperçoit qu’en littérature il n’y a pas de solution de continuité et qu’on ne biffe pas impunément deux siècles d’histoire littéraire. La réaction qui suivit la réforme de la Pléiade n’avait rien d’artificielle ; elle était la protestation de l’esprit français contre des écrivains, animés des meilleures intentions sans doute, mais qui, entraînés par leur ardeur novatrice, n’avaient pas craint, pour répéter la pittoresque expression de Verlaine, de traduire parfois le français en moldo-valaque. Et cette protestation devait être féconde, puisque le principe qu’elle établissait allait deux cents ans et plus dominer notre littérature. Que Malherbe ait réglé les lettres françaises jusqu’à les tyranniser, qu’il ait rendu nécessaire la contre-révolution du romantisme, rien n’est moins douteux, mais enfin sa discipline était venue à son heure, et c’était peut-être trahir la saine tradition que de ressusciter, contre le régent du Parnasse, l’ombre audacieuse de Ronsard. Était-ce bien, en outre, le moyen d’obliger les abeilles de Grèce à butiner un miel français que de « susciter le harpeur, honneur du Vendômois » ou de composer « des lays amoureux capables de dépasser en douceur les plaintes du comte Thibaut ? » Une telle ambition manque d’originalité ; elle conduit à imiter de trop près les maîtres qu’on veut égaler. Or, le pastiche, si habile qu’il soit, indique chez son auteur plus de facultés d’assimilation que de talent poétique. Moréas avait commis d’heureux pastiches. Il jugeait enfin que la poésie se proposait un but plus noble et qu’un vrai poète devait à sa dignité des