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LE SYMBOLISME

de réformateur ne se haussait pas jusqu’à la dislocation totale du vers français. Sur la fin de sa carrière, il avait cependant conçu la possibilité d’un genre intermédiaire entre le vers et la prose. Ce n’était point le vers libre, mais une prose spéciale, dans laquelle la ponctuation était remplacée par des gradations typographiques. Les caractères d’imprimerie y affectaient un œil particulier, tantôt grand, tantôt exigu, suivant l’importance de chacune des propositions, avec une progression ascendante ou descendante dans la hauteur des lettres selon l’intensité du sentiment qu’elles exprimaient. Les verslibristes auraient tort de voir là un encouragement à des efforts légitimes. Ce compromis tenté par Mallarmé est un de ces nombreux essais de rénovation formelle dans lesquels le poète a dissipé le meilleur de son génie, particulièrement une tentative corollaire à cette grande réforme typographique qu’il rêvait pour élaguer du livre tant de lignes inutiles : « L’influence du journal, écrivait-il, est fâcheuse, imposant à l’organisme complexe requis par la littérature, au bouquin, une monotonie — toujours l’insupportable colonne qui s’y contente de distribuer, en dimensions de pages, cent et cent fois. Mais, entends-je, peut-il cesser d’en être ainsi ? Je vais dans une échappée (car l’œuvre sera un exemple préférable) satisfaire la curiosité.

» Pourquoi un jet de grandeur, de pensée ou d’émoi, considérable, phrase poursuivie en gros caractères, une ligne par page à emplacement gradué, ne maintiendrait-il pas le lecteur en haleine, durant tout le livre, avec appel à sa puissance d’attention : alors que se grouperaient autour, secondairement d’après leur importance, des explications, des compléments, des dérivés de la pensée centrale, un semis de fioriture ? » Mallarmé adopte donc le vers régulier tel que nous l’ont légué dans son essence les classiques : il en maintient la rime comme principe rythmique : « Voilà, dit-il, constatation à quoi je glisse, comment, dans notre langue, les vers ne vont que par deux ou à plusieurs, en raison de