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LE SYMBOLISME

l’ont légué les classiques, les romantiques et les parnassiens, même affranchi des lois de la césure, supporte encore la tyrannie de la rime :

O qui dira les torts de la Rime !
Quel enfant sourd et quel nègre fou
Nous a forgé ce bijou d’un sou
Qui sonne creux et faux sous la lime ![1]


C’est pourquoi dans son Art poétique, il conseille de l’assagir un peu :

Tu feras bien en train d’énergie
De rendre un peu la rime assagie
Si l’on n’y veille, elle ira jusqu’où ?


Mais s’il a contre la rime de sérieux griefs, son antipathie ne va pas jusqu’à la proscrire. Il sent sur ce point la nécessité de prévenir certaine confusion possible d’interprétation : « La rime n’est pas condamnable, explique-t-il, mais seulement l’abus qu’on en fait. Rimez faiblement, assonez, si vous voulez, mais rimez ou assonez, pas de vers sans cela [2] ». Par rimer faiblement, il n’entend pas rimer mal, mais rimer comme Racine, qui à la fin du vers use d’adjectifs ou de mots congénères et qui ne se soucie presque jamais de la consonne d’appui. Chénier, Lamartine, Barbier, Vigny et même Baudelaire ont rimé faiblement. Les rimes mauvaises, ce sont des horreurs comme celles-ci :

Les rimes pour l’œil : falot et tableau, vert et piver.
Les rimes en ang et ant, anc et and.
La rime artésienne ou picarde : Pomme et Bapaume.
La rime méridionale : Grasse et grâce
La rime normande : Aimer et mer.


A son avis, il convient de louer dans les parnassiens le talent de rimer.

  1. Épigrammes, II, 2.
  2. Paul Verlaine, Un Mot sur la rime (Le Décadent, 1-15 mars et 15-31 mars 1888).