l’habileté technique. Dans le poème, le lecteur admirera
plus l’adresse du développement ou la perfection de la facture
que la simplicité émotive. Il écoutera une pièce de
vers comme il regardera une statue. Il dira : c’est beau. Il
ne dira pas : je suis troublé. Or la poésie n’est pas la sculpture.
Elle doit faire vibrer, elle doit faire vivre, et pour cela
il faut qu’elle soit vivante. Elle doit donc se garder de la rectitude
mathématique dans les idées, de la rhétorique dans la
forme, « Prends l’éloquence, conseille Verlaine, et tords-lui son
cou
[1] », car la poésie n’est et ne doit être que le miroir de la
sensation, quelque chose de fuyant, d’indécis, de voilé, la
bonne aventure
Éparse au vent crispé du matin
Qui va fleurant la menthe et le thym[2],
plus même, c’est la fuite inconsciente d’une âme « en allée vers
dautres yeux à d’autres amours
[3] », La recherche de la
pensée, la méthode logique conduit « à la pointe assassine,
à l’esprit cruel, au rire impur, à l’ail de basse cuisine
[4] », à
tout ce qui enfin est littérature. Au lieu d’expliquer et de
souligner par le trait ou par la couleur, il faut évoquer,
suggérer, et pour cela ne rien préciser, estomper, effleurer,
ne vouloir que la nuance.
Pas la couleur, rien que la Nuance[5],
unir le rêve, dissimuler le précis derrière l’indécis
[6] !
C’est des beaux yeux derrière des voiles,
C’est le grand jour tremblant de midi
C’est par un ciel d’automne attiédi
Le bleu fouillis des claires étoiles[7].