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LE SYMBOLISME

Qu’un reporter étonné lui fasse observer qu’il a pourtant revendiqué l’épithète de décadent, il en donnera cette explication : « C’est bien simple ; on nous l’avait jetée comme une insulte, cette épithète. Je l’ai ramassée comme un cri de guerre, mais elle ne signifiait rien de spécial que je sache. Décadent ! Est-ce que le crépuscule d’un beau jour ne vaut pas toutes les aurores. Et puis, le soleil qui a l’air de se coucher ne se lèvera-t-il pas demain ? Décadent au fond ne voulait rien dire du tout [1]. » Pour un homme de bon sens — et Verlaine se vante de n’avoir peut-être été que cela — le décadisme n’a jamais existé. Quant au symbolisme, ça doit être un mot allemand. Or, Verlaine n’aime pas « l’allemandisme ». Il déteste « l’artisterie qui se moque de la patrie [2] ». Il a plus de haine encore pour tous ceux qui prétendent faire entrer dans notre langue le charabia étranger. Sans doute, il a bataillé pour Wagner [3], mais c’était alors le seul moyen d’affirmer que la poésie et la musique était des arts très voisins. Il ne s’ensuit pas que l’obscurité soit une Muse. Favorable dans les débuts au symbolisme quand il y croyait découvrir une orientation plus musicale de la poésie, Verlaine dans la suite plaisante ironiquement Moréas et Ghil, alors en lutte pour le titre de chef d’école [4]. Puis il dit tout net que le « cymbaliste Ghil est un imbécile », chef d’école au lieu d’être simplement poète. Moréas tourne également au chef d’école, ce qui tôt ou tard le conduira lui aussi à l’imbécillité. Ghil est un grammairien qui a la glace du pédant, Moréas est encore poète, mais il fera bien de quitter « l’un peu trop rococo geste de scander son cocorico ». D’invectives en invectives, Verlaine finit par décréter que « Ghil

  1. Jules Huret, Enquête sur l’évolution littéraire. Paris, Charpentier, 1891, p. 70.
  2. Invectives, V.
  3. Epigrammes, XX.
  4. Invectives, X.