je devais m’y attendre, et la faute n’en est qu’à moi… Ce n’est pas impunément qu’une femme, à mon âge, à trente-cinq ans elle se vieillissait), rêve de recommencer sa vie et demande à l’amour le bonheur qui lui a été refusé jusque-là. Cette déception devait venir, elle était prévue. Vous étiez plus jeune que moi, Raymond ! Je n’avais pas le droit, même pour mon propre bonheur, de me mettre en travers de votre vie, d’accaparer votre tendresse. Convenez au moins que je ne me suis jamais fait d’illusion. Quand vous me juriez que vous m’aimiez, que vous m’aimeriez toujours, j’ai toujours pris vos serments, souvenez-vous ! comme des paroles d’enfant… Je vous traitais en enfant, vous rappelez-vous ?…
Et elle attendit un signe d’assentiment de Raymond, qui le lui donna.
— Aussi, continua-t-elle, puis-je avouer aujourd’hui sans ridicule que ma tendresse pour vous a toujours eu quelque chose de particulier… disons, si vous le voulez, de maternel. Oui, il s’y mêlait l’orgueil, la vanité, le besoin de se sacrifier que l’on ressent pour un fils… Et pourtant (elle se reprit, craignant d’aller trop vite en besogne), l’esprit de la femme est si faible, on se leurre si aisément, que j’ai cru un instant à l’éternité de cet amour que vous me juriez. J’y avais lié toutes mes pensées, mes espérances, mes vœux ; je ne le séparais pas de tout ce qui m’est cher et de tout ce qui pouvait m’arriver d’heureux : j’en étais venue à ne plus comprendre la vie sans lui… Et, s’il faut tout dire, le jour où je dus renoncer à ce rêve, où la réalité m’apparut, où je sentis que vous vous détachiez de moi, que je ne pouvais plus compter sur vous…
Ici, l’émotion gagna Claire. À ce tableau de son désastre, qui lui repassait devant les yeux, son cœur fut ébranlé. Une larme humecta ses cils.
Raymond, secoué par cette douleur, fléchit brusquement le genou devant elle et s’enfouit la tête dans ses mains.
— Oh ! Claire ! Claire !… Pardon ! murmura-t-il… C’est la fatalité… Vous me déchirez de remords… J’étais indigne…
Mais elle l’obligea à se relever. Et, heureuse de cet accès de sensibilité qui venait de mouiller leur entretien comme pour en détendre les ressorts et en bannir toute raideur, elle poursuivit :
— À quoi bon récriminer sur le passé ? Laissons cela… Vous parliez de fatalité, mon ami. Vous avez raison. On ne commande pas à ses sentiments. Les vôtres sont changés. Moi, je vous aime toujours, mais de cette tendresse particulière dont je vous parlais tout à l’heure… Il me suffit que vous gardiez de moi, d’un passé qui n’est plus, un sentiment de gratitude… Nous ne nous souviendrons que de cela, nous oublierons tout le reste… Je ne regretterai rien… Et, dès ce moment, puisque l’occasion s’en présente, voulez-vous me permettre de rentrer