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taient jusqu’à la crête déserte où Raymond était assis à côté de Françoise, et s’insinuaient en lui, lui versaient une paix intérieure inconnue. Les passions qui l’avaient effleuré de leurs ailes noires n’avaient pas laissé de trace. Il aspirait à pleins poumons, dans le grand air de cette cime, tout ce qui s’élevait de la plaine et flottait autour de lui de pur, de fortifiant et de sain. Il ne voulait plus respirer d’autre air. En vain, le toit des Cabines perçait à ses pieds le faîte du bois, envahi la ville à sa gauche groupait l’entassement de ses maisons blanches, et il aurait pu y découvrir les fenêtres de son appartement : il ne se souvenait plus de rien ; il regardait plus haut, plus loin, vers ce ciel d’un bleu si pur, dans cette atmosphère de fête, où son cœur s’envolait dans la joie en compagnie de Françoise.

Il était si heureux de la sentir à ses côtés ! Et elle se faisait si douce, si aimante, si caressante ! le regardait avec une telle admiration ! l’appelait avec un tel accent d’enthousiasme :« Mon beau Raymond !… » lui disait d’une voix si tendre :

— Je vous aime ! M’aimez-vous autant que moi ?… Moi, je suis toute à vous, je voudrais me fondre en vous ! Elle posait ses deux coudes sur les genoux de Raymond, le regardait de très près, avec une tendresse absorbée. Il souriait de cette exaltation, il lui disait :

— Je vous ai toujours aimée, du premier jour où je vous ai vue, dès votre retour du couvent… Mais avez-vous songé à une chose ?…

— Quoi donc ?

— Je suis bien plus âgé que vous, Françoise… Douze, treize ans…

— Qu’importe ! vous êtes jeune, vous êtes superbe, vous êtes le plus beau des hommes ! Et je vous aime tant !

Léon Barracand.


(Extrait du roman : Un Monstre.)


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