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Aussi, le plus qu’il pouvait, il s’éloignait de cette demeure. Il sortait avec Françoise, s’égarait sous les ombrages du jardin, puis entrait dans le petit bois qui dépendait de la propriété. Un sentier montait en lacets, à travers les taillis, jusqu’à l’arête de la montagne. Ils le prenaient, s’élevaient sans s’en apercevoir.

Il y avait là de petites fleurs sauvages qui, parmi l’herbe rare, se penchaient, rigides et frêles, au bord des talus, des touffes de centaurées, de pâles cyclamens, des œillets minces à quatre pétales. Raymond s’arrêtait à les contempler, leur trouvant une beauté, une grâce rustique, un air de chasteté, qui l’attendrissaient jusqu’à l’âme. Par un penchant à l’élégie qu’il eût trouvé puéril naguère et qu’il s’avouait à peine aujourd’hui, un rapprochement se faisait dans son esprit de ces fleurettes à Françoise : comme elles, elle s’était épanouie dans cette solitude, à l’ombre des Cabines, pour le seul plaisir de ses yeux.

À mesure qu’il montait, ses pensées s’épuraient ; il se dépouillait de ses idées troubles, de l’inquiétude et des remords qui lui imposaient leur contrainte et le tenaient à la gêne. Il avait laissé tout cela en bas.

Au sommet de la montagne, Françoise et lui s’asseyaient.

Serrés côte à côte, heureux de sentir leur cœur battre tout près l’un de l’autre, ils s’oubliaient là de longues heures à laisser leurs regards flotter sur l’immense plaine. C’étaient des jours de la fin de l’été, des après-midi de septembre d’une douceur inexprimable. L’air était immobile et tiède. Au loin, sur la croupe des monts, les forêts, qui avaient épuisé leur sève et jeté toute leur végétation, massaient leur verdure sombre que la rouille n’avait pas encore atteinte. Les pics de Belledone se déchiquetaient à gauche dans la nue, avec leurs crevasses toujours plaquées de neige ; Montchaboud au centre, avec le sommet pelé du Signal, s’avançait vers eux comme un promontoire ; et, vers la droite, les moutonnements arrondis qui portent la tour Sans-Venin couraient vers le Villard-de-Lans et vers la ferme de la Britière. Entre ces hautes barrières, la vallée s’ouvrait et s’élargissait, étalant ses champs moissonnés, ses prairies fauchées, le lit baissé de sa rivière qui roulait une eau verte, et ses torrents presqu’à sec contournant les îlots pierreux dans leur fuite. Lasse et délivrée, comme satisfaite de sa fécondité, la terre à présent se reposait ; et le soleil, en s’éloignant, lui envoyait avec ses rayons apaisés un dernier et lent sourire. Tout l’espace s’emplissait d’une lumière fine où flottait la joie ; une poussière impalpable et blonde noyait le paysage ; et, sous cette trame soyeuse, tout se taisait, se détendait et souriait comme dans la conscience du devoir accompli.

Ce calme, cette sérénité, ce contentement des choses mon-