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Un sourire trahit tout le plaisir qu’elle éprouvait de cette concession.

Il ne fallait pas prolonger cette difficile entrevue. Dès le moment que la victoire était assurée, le mieux pour Claire était de se retirer. Elle s’était levée, et après être allée poser sur le bureau la clef de l’appartement, elle remettait ses gants.

Raymond ne cherchait pas à la retenir. Il se sentait mal à l’aise, petit et humilié devant cette femme si forte.

Tout ce qui suivit fut rapide et ne lui laissa aucune impression.

Claire le voyait enivré, perdu dans un océan d’émotions et de délices inattendues. Elle dit, debout et prête à partir :

— Comment comptez-vous vous marier ?

— Je ne comprends pas.

— Le régime ?

— Ah ! oui… je ne sais.

— Eh bien ! la communauté… ou plutôt non, vous partagerez. Vous lui reconnaîtrez cela comme apport… Il vous restera la même somme.

Il n’eût pas le moindre tressaillement à ce modeste cela qui le dépossédait d’un million. Elle était sur le seuil. Il voulut prendre une de ses mains encore dégantée, la baiser. Mais elle la retira d’un mouvement doux et gracieux qui la fit glisser dans celle de Raymond.

— Adieu, dit-elle. Venez nous voir bientôt.

Et elle partit.

Raymond, demeuré seul, se sentit pris de vertige. Il s’assit, les coudes aux genoux, le front dans ses mains. Une frayeur le saisit au milieu de son ivresse, et un moment l’idée lui vint de partir brusquement pour Paris, de tout laisser là. Mais Françoise…

En de telles circonstances, les caractères forts trouvent sans doute en eux le ressort qui leur permet de réagir. En face du gouffre entr’ouvert, ils se rejettent violemment en arrière. Tout le terrain perdu de la conscience est reconquis en un instant. Mais Raymond était un voluptueux. La proposition de Mme  Daveline le flattait dans ce fonds de sensualité qu’en dépit des dangers et de maintes résolutions contraires il s’était plu à cultiver et à laisser se développer en lui. Puis Claire, avec son manque de sens moral, avait eu l’art de lui présenter les choses d’une façon si simple, qu’il n’en voyait plus l’odieux.

Autrefois, dans le monde, il avait entendu parler de situations pareilles, de ces mariages abominables. Le fait n’était peut-être pas aussi rare ni aussi blâmable qu’il le pensait. Il est vrai qu’il n’avait pas cru qu’il en viendrait là lui même…

Mais, vraiment, en viendrait-il là ? Le sortilège, l’influence