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force, en décrivant une parabole, comme le vin d’un tonneau par le trou de la vrille. La tête penche de plus en plus, puis le corps s’incline, puis, brusquement, la chute.

« La douleur de ses hommes, qui se jettent en pleurant sur son corps !… Impossible de faire un pas sans marcher sur un cadavre. Je me rends compte, soudain, de la précarité de mon sort. Mon exaltation m’abandonne. J’ai peur. Je me jette derrière un amas de sacs. Le soldat Bonnot reste seul. Il n’en a cure et il continue de se battre comme un lion, seul contre combien ?

« Je me ressaisis, son exemple m’a fait honte. Quelques camarades nous rejoignent. Le jour s’achève. Nous ne pouvons pas demeurer ainsi. À droite, il n’y a toujours personne. J’aperçois la tranchée sur une longueur d’une trentaine de mètres, interrompue par un énorme pare-éclats. Si j’allais voir ce qui se passe par là ? J’hésite. Puis, un coup de volonté et je me décide.