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élève de l’École des Chartes, envoie à sa famille ses dernières paroles :

Je vis le plus beau jour de ma vie. Je ne regrette rien et je suis heureux comme un roi. Je suis heureux de me faire casser la figure pour que le pays soit délivré. Dites aux amis que je m’en vais à la victoire le sourire aux lèvres, plus joyeux que tous les stoïques et tous les martyrs de tous les temps. Nous sommes un moment de la France éternelle. La France doit vivre, la France vivra.

Préparez vos plus belles toilettes. Gardez vos sourires pour fêter les vainqueurs de la grande guerre. Nous n’y serons peut-être pas : d’autres seront là pour nous. Vous ne pleurerez pas. Vous ne porterez pas notre deuil, car nous serons morts le sourire aux lèvres et une joie surhumaine au cœur. Vive la France ! Vive la France !

… Quelle ivresse ! J’ai vécu ce soir l’heure merveilleuse de ma vie, celle pour laquelle j’étais préparé dès ma naissance. J’estime que j’ai eu toutes les joies de la terre, tout le bonheur humain, et que je puis m’en aller paisible. Je n’appartiens plus à mon père, à ma fiancée, à mes études, à mes goûts. Je suis la chose de mon colonel. Il peut faire de moi ce qu’il voudra. Il peut me tenir dans sa main comme une balle et me lancer où il voudra… Comme le sacrifice est facile et comme vos enthousiasmes aussi rapides que vos découragements, sont