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cette guerre exactement pareil. » Quand cette page parut dans l’Écho de Paris, je reçus des tranchées plusieurs corrections ou commentaires intéressants. Voici l’une de ces lettres (en date du 20 janvier 1917) :

Non, je ne crois pas, comme vous le déclarez, que le niveau moral de l’armée ne soit plus en 1917 aussi élevé qu’en 1914.

Je l’ai cru longtemps, et cela me désespérait ; bien souvent je me suis dit, en écoutant mes camarades : « La guerre dure trop longtemps ! Où sont les grandes heures d’enthousiasme et d’union de 1914 ? » Et voilà qu’il y a quelque temps, m’étant trouvé séparé de mon cercle habituel d’amis, je fus mis dans une intimité étroite et prolongée avec quelques-uns de mes camarades qui pouvaient, en raccourci, me représenter à peu près toute la nation : il y avait des ouvriers et des agriculteurs, des dans du Nord, du Midi, du Centre et de l’Est… Peu à peu, je vis combien, sans qu’ils s’en doutent eux-mêmes, la souffrance avait fait son œuvre en eux, les avait épurés, combien ils sortiraient modifiés de la guerre.

En 1914-1915, je crois que le changement avait surtout été en surface. Comme ces nuits de froid subtil qui couvrent brusquement les étangs d’une mince couche de glace, la guerre nous avait brutalement saisis et confondus dans une grande masse ; masse splendide d’aspect sans doute, mais qui n’était qu’un agglomérat bigarré destiné fatalement à s’effriter. La cristallisation des nouveaux sentiments ne commença que plus tard, et non par la surface mais par les couches les plus profondes, les couches subconscientes de nos âmes. Cette transformation s’est produite surtout, je crois, durant ces heures — les