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à l’ordre de l’armée, m’écrit une lettre intéressante qui commence par ces mots : « Je suis juif, sincèrement croyant et attaché à ma religion… » J’en détache quelques fragments :

« Prenons comme exemple, me dit cet officier, un israélite de ce que l’on appelle la bonne bourgeoisie, c’est-à-dire le sous-lieutenant qui vous écrit… J’ai eu une instruction moyenne (études classiques à Carnot, puis commencement de droit). Mes parents sont originaires d’Alsace, et, sous Louis-Philippe, un de mes grands-parents était maire d’Altkirch. Pour ma part, j’ai fait mon service militaire, comme tous les jeunes gens que je connaissais, sans grand plaisir ni enthousiasme, et ne pensais à la guerre que lorsque mon père me racontait sa campagne de 1870.

» Tout à coup arrive en 1914 la période de tension, puis la mobilisation. J’aurais voulu que vous puissiez voir notre joie, à nous juifs qui, d’après vous, Monsieur, n’ont pas l’amour réel de leur patrie ou ne l’ont que par reconnaissance pour un pays où ils n’ont pas été martyrisés… Je me souviens de ce samedi soir, lorsque mes parents m’ont accompagné au Paris-Lyon-Méditerranée. Ma mère pleurait et mon père