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chez les uns, de grave courage chez les autres, chez quelques-uns, enfin, de froide résignation. Tous les soldats sont loin d’être des héros, bien peu même le sont. Les journaux, avec leurs anecdotes ridicules et théâtrales, font croire que tous nos poilus sont uniquement préoccupés de bien remplir leur devoir envers la patrie. Il n’en est rien, et ça a été une grande surprise pour moi de constater que soldats et chefs ne sont pas toujours unis dans une seule et même pensée, celle de la victoire ; de constater que notre action doit s’exercer sur la mentalité de nos hommes pour les convaincre tout d’abord de la grandeur de la tâche à accomplir. Ce n’est pas, croyez-moi, du jour au lendemain que l’on arrive à persuader ces lourds paysans regrettant leurs bœufs, ou ces ouvriers gouailleurs qui ont toujours à la bouche l’argot du faubourg.

J’ai de plus en plus l’impression que cette guerre n’est pas, comme on le répète trop souvent, une guerre nationale ; c’est une guerre faite par l’élite de la nation à l’aide de la nation tout entière. J’ai toujours cru, pour moi, à la nécessité d’une élite, mais d’une élite vraiment digne de ce nom, pénétrée de ses devoirs, agissante et éducatrice de la masse. Cette élite en ce moment est tenace, vaillante ; elle conduit la guerre et saura la mener à bonne fin, car les masses sont, en définitive, endurantes, patientes, susceptibles d’être noblement excitées et lancées au combat. L’officier