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mène-t-on dans le secteur atroce de la Tête de Faux ?

Nous sommes à 30 ou 40 mètres des Boches. On ne circule que dans des boyaux étroits et profonds, remplis de boue, de flaques d’eau, séparées par de gros cailloux qui nous font trébucher. Au moindre coup de feu, on redoute une attaque. Pendant la nuit, je fais faire des rondes, et le jour je dois surveiller les travaux, de sorte que je n’ai pas un instant à moi : à peine puis-je prendre un peu de repos sur de la paille humide, dans une cagna où je n’entre qu’à genoux. Malgré cela, le moral est excellent…

Je commande un peloton, c’est-à-dire deux sections : la mienne et celle de l’adjudant blessé par un obus. J’ai donc une assez grosse responsabilité, mais petit à petit on se fait au métier. Il n’y a que les relèves qui soient ennuyeuses. Partir vers minuit, suivre dans la nuit sombre, à travers les sapins, un sentier caillouteux et couvert de verglas ; observer un silence absolu, tomber, se relever, s’égarer, retrouver enfin son chemin et, une fois arrivés, placer les sentinelles, faire coucher les hommes, reconnaître, en cas d’attaque, les tranchées de combat ; enfin songer à soi, et se jeter sur la paille, le revolver à la ceinture…, voilà ce que c’est qu’une relève.