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une famille, et quand je suis en ligne, dans ma cagna, je ferme les yeux une fois la lettre lue, et je me figure être avec vous tous. Après, on a plus de force et de courage, et on ferait n’importe quoi. Tes lettres sont la parole du chef, qui ranime le courage des hommes, qui fouette le sang. Quelquefois, quand on ne s’entend plus, tant ça tombe, j’ouvre ma musette, je relis tes lettres et je n’ai plus peur.

Et voici, datée du 14 septembre 1916, la lettre dernière, celle qui n’arrive à son adresse que si les pressentiments qu’elle exprime ont été confirmés par le destin :

Cher papa, je t’écris cette lettre à tout hasard, sait-on jamais… Ce n’est pas la première fois que j’écris comme cela ; les autres ont été déchirées après le coup donné, celle-ci, je pense, aura le même sort.

Demain matin, à l’aube, vers les quatre heures, nous partons à la charge. C’est la victoire à peu près certaine et c’est de l’histoire que nous écrivons à la pointe de nos baïonnettes. Le 66e a l’honneur d’attaquer et le 1er bataillon en tête, le mien. Je suis