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cher la soupe et pour bien me battre, je vais bien manger. J’ai partagé les provisions reçues ; il ne faut pas être trop chargé pour avancer, et tu vas voir dans le communiqué que Vimy sera pris, car le 66e est toujours le 66e. C’est une bien belle soirée pour moi, car demain sera peut-être Austerlitz. Je suis très fier d’y aller. Au revoir, peut-être adieu, mais je ne le pense pas. Je vous embrasse tous, en criant bien fort : « En avant ! Vive la France ! »

Le 26 juin, à son père :

Nous avons eu hier une journée terrible : ouragan de fer et de l’eau à se noyer. Tout à coup, psch ! psch ! tout le monde se jette à plat ventre ; c’était un 105 qui s’annonçait. Je fais comme les autres ; je m’aplatis contre le sol, ma bouche… sur celle d’un cadavre. Je n’ai jamais eu une impression pareille. J’ai porté des morts, pansé des blessés dont le sang giclait ; je me suis même assis sur des corps ; mais ça, avec tout l’imprévu de la rencontre, m’a fait une sale impression, et je dois le dire à ma honte, j’ai eu peur ! Pendant peut-être deux secondes, j’ai eu une impression horrible ! Le général de division, ce matin, en nous félicitant de notre « indomptable énergie », a ajouté : « On pourra dire dans l’histoire : Tenir comme le 66e ! »

Le 13 juillet, à son père :

Si tu savais combien tes lettres sont un réconfort pour moi ! C’est si bon de sentir derrière soi toute