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À 50 mètres des Boches. Rien devant nous que la plaine, avec quelques réseaux de fils de fer. Sur un front de 75 mètres, c’est moi qui défends l’accès du territoire. C’est drôle quand on y pense. Si jeune, avoir à soi 75 mètres de frontière. J’en suis très fier et toi aussi, n’est-ce pas, ma chère maman…

Et puis à un parent :

Je suis chef de section. C’est, comme vous le savez, la responsabilité de cinquante bonshommes qui vous incombe. Si au plus fort du bombardement on a un moment de défaillance, l’idée que cinquante poilus ont l’œil sur vous suffit à vous donner une assurance et un sang froid inébranlables… Mes hommes m’aiment et je les aime… Lorsqu’un obus éclate trop près, comme eux, j’ai peur, mais il faut bien veiller sur le morceau de la frontière que l’on m’a donné à garder, aussi je reste debout… Si la tâche est rude, vous ne pouvez vous imaginer ma joie et ma fierté. (Juillet 1915, lettres communiquées.)

Qu’est-ce à dire qu’une telle gaieté ? Comment faut-il entendre cette joie, dont le simple écho pour nous est déchirant ? « Joyeusement », « gaiement », disent ces martyrs. Mais leurs visages terriblement graves attestent que leur joie ne les em-