Page:Barrès - Les Déracinés.djvu/89

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
79
LEUR INSTALLATION À PARIS

l’heure où l’on pourrait avec convenance se présenter chez Bouteiller.

— Que lui demanderas-tu ?

Mouchefrin et Racadot se concertèrent du regard.

— On peut parler devant Renaudin qui est « arrivé », dit Racadot : Mouchefrin, qui a du brillant, voudrait lui servir de secrétaire, raccompagner, recevoir pour lui ; gratuitement, s’il le faut ; et moi, qui ai le goût des affaires, je serai son homme de paille.

— Son homme de paille ?

— Il n’est pas riche, et tout le monde dit qu’il va faire de la politique…

Renaudin, qui n’était pas toujours égoïste, la trouva bien bonne et voulut que chacun en rît.

— Chut ! fit Racadot en lui pressant le bras. Ils seraient capables de se lever demain avant moi.

Mais l’autre, en bouffonnant, tout haut :

— Si vous avez des commissions pour Bouteiller, messieurs Racadot et Mouchefrin, chargez-en notre ami Suret-Lefort : car le grand homme, très sensible à son billet, m’a chargé de lui faire savoir qu’il recevait le mardi, de onze heures à midi. Cette nouvelle fit son effet. Pour passer leur humeur, Racadot et le nabot Mouchefrin gouaillaient Sturel sur sa pension de famille ; il se contenta d’alléguer la commodité du vivre et du couvert réunis. Sa chambre silencieuse dans un quartier désert, et si pleine de ses rêves, lui semblait encore plus belle, vue de ce café grouillant et vulgaire.

— Pour moi, — dit Suret-Lefort, avec l’expression qu’il avait prise à Bouteiller, — je ne crois pas que la solitude soit bonne au début de la vie. Qu’un homme