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LES DÉRACINÉS

Renaudin approuva Suret-Lefort d’être assidu à la Conférence Molé, qu’ont traversée la plupart des hommes politiques.

Tous se taisaient quand le reporter, « qui maintenant écrit dans tous les journaux », ouvrait la bouche : par ses paroles ils croyaient s’initier à la sagesse parisienne. Nestor, au rivage troyen, ne jouit pas d’un prestige plus incontesté.

Déjà trop averti de la vie pour se plaindre, il ne leur disait pas que la disparition de la Vérité venait de le précipiter et qu’il vivait péniblement d’informations offertes çà et là. D’ailleurs, il ne doutait pas que Portalis, pour qui il avait une admiration sans bornes, ne reprît prochainement quelque feuille. Il était demeuré à demi naïf, ce qu’on voyait peu, et devenu à demi cynique, ce qu’on voyait fort. Son éducation se faisait par la conversation, les livres lui parlant mal. Il risquait d’être confiné longtemps aux petites besognes du journalisme, parce qu’il les réussissait admirablement. Il avait une mauvaise réputation ; elle tenait au caractère de ses articles quotidiens : pour protéger l’industrie et l’estomac de nos nationaux, il avait enquêté sur la provenance des marchandises de bazar et sur les falsifications des restaurateurs. Les intérêts qu’on blesse se souviennent mieux que ceux qu’on défend. En outre, sur sa figure de pauvre diable mal nourri s’étalait un eczéma qui excitait la défiance. Vraiment les connaissances médicales sont trop rares ! Personne ne veut croire que cette affection cutanée puisse masquer une belle âme. Injustement déprécié au moral et au physique, Renaudin connaissait la vie. Racadot, tout bas, le consulta sur