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LEUR INSTALLATION À PARIS

la Société d’agriculture : il améliora ses terres, et son revenu tomba de trente mille francs à douze mille. Madame Sturel décida d’en prélever le quart pour son fils. Elle pensait ainsi assurer le bien-être nécessaire à son enfant chéri et de santé délicate. On lui dit qu’une madame Alison, femme d’un grand verrier lorrain, vantait le jardin et la bonne table d’une pension parisienne de la rive gauche où elle habitait une partie de l’année avec sa fille. Madame Sturel jugea que son fils y vivrait décemment et qu’à ses visites elle trouverait place auprès de lui sans le gêner. — François ne remarqua même pas que la sollicitude maternelle restreignait un peu sa liberté. De tous ses désirs le plus pressant tendait vers des êtres pour qui il pût s’enthousiasmer, contrarié par l’angoisse de leur apparaître indigne.

Installé depuis cinq jours à cette villa Coulonvaux, il eût été bien incapable d’en parler dix minutes. C’est la seule construction ancienne de la rue Sainte-Beuve. Elle a, sur le devant, une cour, et, par derrière, un jardin avec de bons arbres. Son enseigne enlevée, elle aurait un air d’hôtel particulier, pourvu que l’on prit soin de chasser la cuisine, installée sur la rue dans la loge élargie, et qui, de son odeur, de son aspect, de son bruit de vaisselle, gâte les premiers pas chez madame de Coulonvaux. Sur les salles à manger et salons du rez-de-chaussée se développent deux étages de chambres où vivaient, en 1882, de ces Anglaises, véritablement viriles, qui passent quelques mois à Paris, un ménage dégoûté de tenir maison, des vieux messieurs, des vieilles dames, des plus jeunes, mais sans agrément : un assemblage de ces créatures mesquines qui semblent