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DANS LEURS FAMILLES

que les grands propriétaires dominaient dans le pays.

… Dans la cour du musée de Bar-le-Duc, sans gloire, sans convenance, la poussière des ducs de Bar gît, mal protégée de la pluie, du vent, par une mauvaise vitre. Auprès de ce résidu est couché, également sous vitre, un squelette romain. La pluie détachant une brique archéologique mal suspendue, le Romain en eut le crâne fracassé et mêlé de verre pilé ; peu importe qu’il en arrive de même aux ducs de Bar, l’hiver prochain : déjà ces puissants seigneurs ne sont plus que vingt poignées de poussière… Le système des idées auxquelles, par les traditions et les mœurs de son monde, Saint-Phlin demeure disposé, est, lui aussi, émietté et délaissé de tous. Il n’a même plus de nom dans aucune langue. C’est un ensemble désorganisé que ne savent plus décrire ceux qui lui gardent de la complaisance. Plutôt qu’un système vivant, c’est une poussière attestant la politique féodale qui attachait l’homme au sol et le tournait à chercher sa loi et ses destinées dans les conditions de son lieu de naissance.

Henri de Saint-Phlin n’a pas une conscience nette de ces principes terriens qui le placeraient en contradiction avec la doctrine de Bouteiller. Il n’oserait renier le maître qui, pendant une année l’enthousiasma. Mais aujourd’hui ses sens impressionnables le livrent tout aux bois, aux prairies, aux saisons ; et les bois, les prairies, les saisons, créent les conditions suffisantes pour que quelque chose des doctrines féodales redevienne sa vérité propre. Avant qu’un Racadot, de Custines (Meurthe-et--