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LES DÉRACINÉS

cipité dans le mépris, après une notoriété immense il dut disparaître sous un faux nom. Sa mémoire, elle-même, le long du siècle, est honnie ou exaltée, selon les régimes, et, dans le même moment, selon les milieux sociaux. Les personnages locaux de ce drame moururent tous de mort violente. Leurs enfants, qui vivent encore dans la région, y maintiennent ces grands souvenirs. Un descendant de Drouet, M. Fleurissel, fermier à Mafrecourt, venait de solliciter et d’obtenir l’autorisation de reprendre son nom. À Saint-Phlin, on le blâmait ; à Varennes, on le louait. — L’imagination d’Henri de Saint-Phlin, chargée de ces biographies où l’on voit toutes les contradictions les plus passionnées de l’opinion, se formait, à son insu, pour la philosophie de l’histoire.

On a dit justement que la calèche royale fut, à Varennes, le corbillard de la monarchie. L’acte de Drouet, qui n’a pas épuisé ses conséquences historiques, agit aujourd’hui encore sur des destinées particulières. L’infériorité, l’avilissement pour tout dire, où Drouet, le 22 juin 1791, a réduit le roi, et dont la vieille madame Gallant de Saint-Phlin garde la tradition locale, empêcheront que le jeune homme, pourtant traditionaliste, devienne jamais monarchiste, Secrètement, à Louis XVI qui voyageait sous un nom de domestique, — qui par ses absurdes lenteurs et par son équipage trop lourd se laissa prendre, — qui, à une proposition de forcer le passage, répondit : « Me garantissez-vous qu’une balle n’atteindra pas ma femme ou mes enfants ? » — qui, pour gagner un moment et permettre à Bouillé de le dégager, fit semblant de dormir, — Saint-Phlin préfère les ducs de Bar, le vieux temps où il semble