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LES DÉRACINÉS

autorité, détachait chaque syllabe de la façon la plus nette et la plus agréable.

— Monsieur, disait-il, vous allez siéger dans une grande et honorable assemblée ; après avoir élevé le niveau moral de notre région par votre enseignement, vous allez maintenant hausser le ton du concert parlementaire, et, par là, de toute la France, en exprimant nos volontés que vous interpréterez. Il y a quelques années, nous vous remettions notre intelligence, et nous vous avons vu à l’œuvre ; aujourd’hui nous vous remettons nos intérêts complets. Vous leur ferez honneur, n’est-ce pas, Paul Bouteiller ?… Après les adolescents, voici que les hommes se mettent dans vos mains. Nous qui sommes la frontière et qui sentons plus qu’aucune partie du pays la nécessité d’être un roc, nous n’aurions pas assez de nos régiments, de nos forteresses, de nos trésors de guerre généreusement constitués par l’humble épargne, si nous ne pouvions appuyer sur un bon citoyen toute l’âme lorraine…

Des acclamations interrompirent Suret-Lefort, si chaleureux sous sa glace extérieure ; de toute la salle, sous les trapèzes, à côté de la perche lisse et par-dessus les tremplins, des bras tendus désignaient le député, magnifique vraiment en redingote, avec ses bras croisés, son teint blême, ses cheveux noirs, ses yeux brillants et son beau front. Il allait parler… Fort raisonnablement, pour reposer le public sans le refroidir, le directeur de la Lorraine républicaine fît d’abord donner la musique. Cependant Goulette, que l’on avait chargé dans cette belle fête d’organiser le punch, la bière et, comme il disait, « toute la limonade », ordonna aux garçons de servir, et quand la dernière