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LES DÉRACINÉS

fondent en un accord parfait pour qui les écoute d’une certaine hauteur, et par exemple en se plaçant au point de l’historien social. On entend alors : « Nous sommes le crime et la honte ; mais nous avons des sentiments fidèles. L’ordinaire des convenances, la moralité, l’honneur, rien n’a de sens pour des êtres qui s’étant choisis ne connaissent désormais qu’eux au monde. À l’ensemble des lois qui régissent les cités, notre amour substitue un pacte ; nous avons rompu les entraves sociales, mais plus étroitement nous lie la chaîne des complices. Il fait bon aimer dans la peur derrière des cloisons où l’on tremble, et bien intact, serrer dans ses bras celui que traque la société. »

Petites mondaines, vos amours sont trop fades ; vous n’y mettez rien que de la vanité et une chétive sensualité ; mais dans les amours de la Léontine il y a la volupté de trembler ensemble. Et ces hors-la-loi se garderont leur foi dans les pires difficultés, jusqu’à Saint-Lazare, jusqu’à la guillotine, bien que l’anneau nuptial, ils ne le demandent pas au maire ni au prêtre, et qu’ils admettent de le chercher aux doigts des assassinés, de qui, elle Vénus, tiendrait les pieds, tandis que lui, Mars en casquette, frapperait. La fidélité dans le crime et la honte ! Aucun être humain n’est dénué de poésie.

Petite société traquée, œuf suspect, nid malingre à écraser précipitamment, certes ! mais qu’on voudrait sauver à la fois par pitié et par économie : car ils sont nus dans cette boue, sous cette tempête et faits tout de même à l’image des héros ! Quel limon mal pétri ! Sont-ce des êtres qui se défont ou des formes qui attendent la nouvelle âme, un souffle ?…