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LES DÉRACINÉS

vidus pensent généreusement. Des millions d’êtres sont sacrifiés, voire damnés, uniquement parce que la nature en fera, dans ses abîmes, comme dit Hugo, quelque chose de grand. C’est de là que tout monte et s’affranchit. Il y a des instants ignobles, mais leur somme fait une éternité noble. Hugo me le fait sentir avec trop de vivacité pour que je connaisse la colère, le dégoût, le mépris ; son œuvre et cette foule me rappellent fort à point l’unité mystérieuse de toutes les manifestations de la vie. Acceptons notre rôle et les rôles que jouent nos voisins. Plaise à la nature que nous soyons de naissance conditionnés pour le bien et que rien d’extérieur ne vienne trop fortement tenter notre libre arbitre ! Maintenons-nous de notre mieux au fil de l’eau ; passons avec le flot de nos contemporains. Notre existence, la leur, ne sont qu’une seconde d’un geste plus général qui nous échappe. Un Racadot, un Mouchefrin sont aussi nécessaire à ce geste qu’aucun de nous… »

C’est ainsi que Sturel, par Victor Hugo, arrivait au même résultat que par Astiné. L’Asiatique vivait toujours en lui. Elle y avait déposé des éléments à jamais amalgamés avec la nature propre du jeune Lorrain. Cette partie intime de Sturel qui est proprement Astiné, déjà à plusieurs reprises l’avait engagé à ne pas s’empêtrer dans des soucis de légalité, à se satisfaire de ce beau mot : « fatalité », pour qu’il acceptât l’irréparable. Hugo venait confirmer Astiné ; il confirmait aussi les mélancolies du jeune lycéen qui jadis contemplait les étoiles.

À la fin de cette soirée, Sturel se décidait à accepter, sans poursuivre de vains remèdes, de vaines