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LA VERTU SOCIALE D’UN CADAVRE

ses bosquets furent jusqu’à l’aube une immense débauche. Paris fit sa nuit en plein air. C’eût été le chaos, si ce monde trouble n’avait eu son phare. — Une foire ? Non, l’humanité autour d’un cercueil !… Nuit du 31 mai 1885, nuit de vertiges, dissolue et pathétique, où Paris fut enténébré des vapeurs de son amour pour une relique. Peut-être la grande ville cherchait-elle à réparer sa perte. Ces hommes. ces femmes avaient-ils quelque instinct des hasards brûlants d’où sort le génie ? Combien de femmes se donnèrent alors à des amants, à des étrangers, avec une vraie furie d’être mères d’un immortel ! Les enfants de Paris qui naquirent en février 1886, neuf mois après cette folie dont ils reçurent le dépôt, doivent être surveillés.

Cette nuit même, des êtres nouveaux apparurent à la vie. Comme le vent de la mer, l’enthousiasme fouette nos forces. Ces sentiments qui rayonnaient du cadavre à travers cette foule, en même temps qu’ils créaient un état commun à tous, suscitaient en chacun des phénomènes divers. L’immense majorité, toute prête à recevoir la parole fécondante et qui se fait attendre, n’aurait pas su d’elle-même s’exprimer avec plus de bonheur que M. Marmottan, maire de l’arrondissement, qui affiche : « Le monde vient de perdre Victor Hugo. Dans le monde, c’était la France ; dans la France, c’était Paris qui le possédait. Dans Paris, c’est à Passy que le grand homme est venu vivre les dernières années de sa grande vie. Habitants du XVIe arrondissement, soyez fiers. » Et pourtant, de cette foule peu consciente, les uns, voyant la gloire, frémissent ; d’autres, sentant la mort, se hâtent de vivre ; d’autres encore, coudoyés