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LES DÉRACINÉS

— Je fais partie d’une société constituée, je ne la remets pas en question. Ce Racadot, ce Mouchefrin, sont des poussières vénéneuses ; il ne faut pas qu’ils se répandent pour tout empoisonner… Mouchefrin a insulté Saint-Phlin : une morsure dont Saint-Phlin eut une partie de son être gâtée. Notre groupe, alors, n’y donna nulle sanction. Aujourd’hui, l’acte tombe ; sous le coup de la loi : qu’elle frappe ! Si tu veux, Sturel, épargner deux misérables, pourquoi me prends-tu pour confident ! Je te reprocherai comme une faute grave à mon endroit de m’avoir imposé un dépôt moral qui me répugne.

Sturel répliqua avec émotion que ses amis ne pouvaient douter de son horreur pour ce crime : certes, il ne gardait aucune indulgence pour des personnages dont il ne voulait plus entendre parler, mais il ne savait pas s’il supporterait le rôle de bourreau.

— Ils n’auront pas de circonstances atténuantes, dit Suret-Lefort : que Sturel parle, c’est en effet la mort.

— Eh ! répondit Rœmerspacher à quelques réflexions complémentaires, il ne s’agit pas de savoir si la misère explique leur crime, si des indignités égales demeurent impunies. La société doit les abattre, comme elle abat les loups et les sangliers en hiver dans les bois de Neufchâteau.

Sturel les pria de l’attendre vers une heure du matin, au même café et s’éloigna, suivant d’instinct le fil de la foule qui, dans cette nuit du 31 mai au 1er  juin, s’enroulait sur l’Arc de Triomphe, pour les fêtes funéraires de Victor Hugo.

De grand matin, ce dimanche même, 31 mai, la