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LES PERPLEXITÉS DE FRANÇOIS STUREL

trouvait si éloigné, si distant de ces deux hommes ! Il aurait tant aimé, à cette minute, un bon sourire, une grosse plaisanterie ! On a toujours manqué de cordialité avec lui… Comme les fonctionnaires sont odieux !… Il parla, et le son de sa voix lui redonna du courage. Il raconta, en dénaturant un peu les faits pour éviter de mettre en cause Mouchefrin, comment madame Aravian, fort honorablement, était venue lui dépeindre la fâcheuse situation de nos compatriotes à X… : il avait pu servir des Français et obliger cette dame. Ensuite il avait eu le plaisir de lui faciliter des excursions dans les bas-fonds de Paris : un goût qu’elle partageait avec tous les grands-ducs et le prince de Galles. « Probablement, elle se sera mise en relation avec des rôdeurs… »

Le magistrat lui posa deux questions à peine, puis le remercia. De bien être, en cette minute, Racadot crut rajeunir ; il se leva, prit sa canne, s’inclina. En s’appliquant bien à ne pas se presser, il se dirigeait vers la porte, distante de trois pas, quand le magistrat, pour l’acquit de sa conscience professionnelle, presque pour soutenir la conversation, — il a raconté depuis qu’alors il était à mille lieues de rien supposer, — l’arrêta du geste et négligemment :

— Vous avez coupé votre barbe, monsieur Racadot ?

— Ma barbe ?… Non… oui…

Il se croyait déjà dehors et voilà que cette question… Il se rappela ce que l’on dit de la politesse, de la douceur des juges d’instruction, — et puis c’est au dernier moment, par une phrase, et d’un air détaché, qu’ils vous reprennent.

— Mais qu’avez-vous, monsieur Racadot ? vous pâlissez, vous allez tomber ! Asseyez-vous !