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LES DÉRACINÉS

par une des rondes qui, de nuit, traquent les fraudeurs, qu’aurait-il raconté ? L’aventure lui réussit. Il rentra dans Paris sans avoir rencontré personne… En argent, sur ce beau corps ensanglanté, ils avaient pris dix-huit cents francs, de quoi payer les deux échéances dues pour la Vraie République. À Mouchefrin, Racadot déclara simplement : « J’aurai toujours pour toi un louis. » Le nain, claquant de peur, ne songeait pas à défendre ses intérêts, mais sa tête… Quant aux perles et aux turquoises, Racadot les expédia, dans une cassette de fer, chez une amie de la Léontine, à Verdun. Enfin, sans mettre sa maîtresse au courant, il la persuada de jurer, quoi qu’il advînt, qu’il avait passé avec elle et avec Mouchefrin la soirée du 21… Voilà-t-il pas un ensemble de conditions bien faites pour rassurer Racadot ?

Au bout de deux heures, il attendait encore ; mais le juge sortit de son cabinet pour s’excuser et le prier de vouloir bien demeurer. Vers quatre heures, il se prit à espérer qu’on remettrait son audition au lendemain. Décidément il redoutait cette entrevue. Comme l’action des excitants fait défaut après un court délai, le courage qu’il s’était préparé lui manquait. Brusquement son nom retentit ; on l’introduisit dans une petite pièce, où il se trouva seul avec le greffier indifférent et le juge qui, poliment, disait :

— Monsieur Racadot, vous avez désiré être entendu pour donner des renseignements sur madame Astiné Aravian. Je ne vous demande pas le serment. Je verrai si je peux vous convoquer à titre de témoin. Voulez-vous dire ce que vous savez ?

Dans cette toute petite pièce, le pauvre Racadot se