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LES PERPLEXITÉS DE FRANÇOIS STUREL

jour, en présence d’un crime, des braves gens crient : « À l’assassin ! » et qu’il n’est pas besoin de tant subtiliser pour appeler le gendarme. Certes, il déteste ces bêtes féroces et n’empêcherait pas qu’on ne les abattît, mais il les connaît, il sait bien que ce n’est pas de gaieté de cœur et par plaisir qu’ils en vinrent là. Quand on les porterait à Mazas, à la Conciergerie, à la Roquette, au Champ-des-Navets, ce serait besogne utile, mais de voirie, plus que de justice. Du moins, s’il hésite, n’est-ce pas pour s’éviter des tracas, et chaque jour nous nous gardons d’intervenir dans des infamies, grandes ou petites, parce que le sage ne se mêle pas aux affaires des autres.

Le mercredi 27, au matin, il se persuada que, la veille, il s’était tracé un programme : attendre le résultat de la démarche de Racadot au Palais. Ce 27, le 28 et le 29, il ne put tenir en place ; à plusieurs reprises, au café Voltaire, on le vit entrer, écouter ses amis, ressortir, revenir encore. Renaudin s’intéressait vivement aux démêlés d’un certain général Boulanger avec le résident général à Tunis ; Rœmerspacher querellait Suret-Lefort, qui haussait les épaules à l’idée que Hugo, mieux que Grévy, aurait servi la République à l’Élysée : « Vous auriez donné aux idées françaises une puissance inouïe de propagande… » Sturel demeurait dans la perplexité ; il se retournait de tous côtés et se voyait seul. Nul ne s’intéressait à son débat, nul n’en partageait l’horreur. L’univers et sa propre conscience ne savaient pas le conseiller. Il se désaffectionnait de soi-même. Il se jeta hors de la vie individuelle, dans la vie de la collectivité : épouvanté de ce que lui proposait de