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LES PERPLEXITÉS DE FRANÇOIS STUREL

regarde la vie d’un point de vue moral. Cette période où, avec des sens épointés, une énergie moins aventureuse, nous commençons à accepter notre existence telle quelle, ses charges, ses responsabilités, c’est la préparation à la mort. Sturel, jusque-là, se préparait à la vie… Eh bien ! la voici, la vie ! Cette crise, c’est proprement la première action où il est engagé. Il a un rapport à créer entre lui et les hommes, une décision à prendre, une influence à exercer. N’est-ce pas ce qui s’appelle agir ? Cet admirateur de Napoléon n’est pas précisément à son aise.

On assassine sur les berges de Billancourt, et les circonstances l’en font juge… Son angoisse étonnera des esprits honnêtes qui le trouveront bien hésitant. Celui qui se laisse façonner par la société, qui adopte pour règle de ses jugements l’opinion, pour limite de ses actes la coutume, se maintient à mi-côte des grandes vertus et des grandes fautes, et se préserve de ces pénibles vertiges de la conscience. L’idéaliste qui revise chacun de ses actes est dans la pénible situation d’un Robinson Crusoé recréant toute la civilisation dans son île. François Sturel, souvent, sait mal soutenir son opinion, parce qu’il comprend comment ses contradicteurs se figurent avoir raison. Cet honnête garçon risque de paraître moins convaincu qu’un imbécile qui n’a que des opinions de vanité. C’est une faiblesse dans la discussion, cette supériorité, — qui d’ailleurs n’est qu’une demi-supériorité, car, à un degré plus haut, Sturel, sur de tels débats, aurait par avance son parti pris. — Aujourd’hui, il croit connaître des assassins. Ce sont ses amis : même, il a