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LES DÉRACINÉS

tine en passant la main sur les cheveux du gamin. Louis Fanfournot, à dix-sept ans, en paraissait treize, parce qu’il mangeait rarement… Une revendeuse de fleurs fanées ne voulait pas s’éloigner ; Rœmerspacher offrit des roses à la maîtresse de Racadot.

— Jeudi soir, n’étiez-vous pas déjà à la campagne ? dit Sturel à Racadot et d’un ton dur qui choqua.

— Non, j’ai passé la journée et toute la soirée avec la Léontine.

Et tandis que celle-ci pleurait de nouveau, Racadot, qui avait pu répondre de la manière la plus paisible à Sturel, fit subitement une scène grossière au garçon, parce qu’il tardait à lui apporter de « quoi écrire ».

L’atmosphère devenait mal respirable pour tous. Suret-Lefort ayant cherché dans un journal le nom du juge chargé de l’instruction, dictait à Racadot le modèle d’une demande d’audience, quand Sturel, sans une phrase, quitta le café.

Comme elle s’élargit tous les jours, la vie de François Sturel ! Successivement il embrasse de plus grands problèmes : par la Vraie République il semblait toucher aux relations sociales, à la politique ; mais, non, il n’avait fait que se donner un but de vie. Maintenant, dans cette petite chambre, toujours la même depuis son arrivée à Paris, sous ce coin de ciel grisâtre découpé par la fenêtre, vient de s’introduire l’élément nouveau : la question des rapports avec la collectivité…

Si personnel jusqu’alors, dans ses instants les plus vertueux il s’était préoccupé seulement de s’exalter vers son type. Il n’était pas encore à l’âge où l’on