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LES DÉRACINÉS

qu’elle prétend nous donner le sens moral de l’univers.

« Victor Hugo exprimait, non la vérité d’aujourd’hui, mais ce qui parut digne de ce nom aux personnes peu instruites vers 1848. Il est fâcheux qu’il ne soit pas décédé à cette date où l’on aurait pu avec une certaine justice lui rendre hommage. Et très probablement, nous ne perdrions pas notre temps à reviser les louanges de cimetière qu’on lui eût décernées. Mais aujourd’hui, quand nous ne serions que quarante, ayons la clairvoyance et le courage de dire combien fut fâcheuse pour lui et pour tout le monde sa longévité… »

Des exclamations intolérantes avaient déjà haché le discours ; il y eut ici une huée, puis la curiosité domina. On n’allait donc pas s’ennuyer ! Vingt personnes crièrent :

— Écoutez !

Racadot ne parut nullement troublé par les protestations ; bien au contraire. Évidemment, s’il s’était livré à sa fureur de surmené, il eût été supérieur. Sa riposte, servie par sa figure fébrile, avait plus de ton que ses petits papiers, où l’on croit entendre Sturel, Rœmerspacher…

— Eh bien ! quoi, — disait-il avec une grossièreté assez savoureuse, — Hugo ! ses grandes flatteries à Paris ne me touchent pas : je ne suis pas d’ici ; et quant à sa belle et constante promesse de détruire la misère, le mal, par l’instruction, je pense que j’en suis juge. Or, voilà un non-sens… Hugo ! je le tiens pour un endormeur…

Un rire de joie l’interrompit. Evidemment, Racadot était seul à contredire la France, à sortir de cette unité nationale qui se resserrait autour de l’aïeul.