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LES PERPLEXITÉS DE FRANÇOIS STUREL

quoi le décès de la donatrice n’ajoute rien. Le jeune homme a cent raisons d’espérer que ce cadavre nu sur une berge décriée n’est pas celui d’Astiné. Et, quand ce serait cette chère malheureuse, convient-il de s’attarder dans un deuil privé, dans l’égoïsme en somme, alors qu’il y a une occasion de communier avec un peuple ? Les mouvements de l’intérêt personnel ne doivent pas nous dévier de la raison droite.

Le lendemain 23, cette émotion nationale déjà ressentie par Sturel fut exprimée par les journaux avec des moyens si variés, si puissants, si redoublés, que leur lecture produisit sur tout le public et sur le jeune homme l’effet exaltant des pleureuses antiques ou des vocifératrices corses dans les cérémonies funéraires.

Mêlés à l’énumération des titres du mort et des regrets de l’humanité, il lut de nouveaux renseignements « sur le crime de Billancourt ». Faute de la tête et des vêtements, on n’arrivait pas à établir l’identité ; on fouillait la Seine et toute la région. Il consulta la Vraie République. Dans ces quatre pages, établies tant bien que mal avec des blocs empruntés à d’autres journaux, il trouva que la conférence de Racadot aurait lieu le mardi 26. Sturel se promena jusqu’à la Morgue et crut défaillir…

La subsistance dans la mort des apparences de la vie affole tout notre être, qui n’accepte d’expirer qu’avec l’idée de se dissoudre. N’exister plus et demeurer, gésir sans défense exposé aux injures, affecter encore de quelque façon les vivants, c’est infiniment triste. Quelle humiliation déjà d’avoir été jeune, sympathique, confiant, et de mourir, comme