Page:Barrès - Les Déracinés.djvu/403

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
393
LA MYSTERIEUSE SOIREE DE BILLANCOURT

tice, de devoir souffriraient de se trouver en opposition avec vous ; — quand par malchance cela arriverait, elles sauraient s’effacer bien vite et passer dans votre camp. Si vous échouez, au contraire, elles ne voudront pas se compromettre par votre échec, et tiendront à marquer que vous êtes puni de les avoir offensées. » Racadot, qui vérifie ces principes dans son cas et qui ignore leur caractère universel, se cabre et sincèrement se croit une victime sociale.

C’est affaire de point de vue. Un sociologue le tiendrait pour un parasite social ; un juge d’instruction, pour un maître chanteur ; quant à ses amis, ils le fuient maintenant comme un maître tapeur. Petit à petit, il ne prête plus qu’à des associations d’images désagréables. Ces garçons intelligents, ayant décidé qu’ils ne pouvaient rien pour son salut, jugent oiseux et simplement pénible de penser à lui.

À la Conférence Molé, — où la Vraie République avait tenu l’emploi de moniteur officiel, — on fît cette remarque ; Suret-Lefort qui, jadis, aimait à donner Racadot pour son alter ego, désormais affecta d’entendre ce nom comme un assemblage de syllabes inconnues. « Eh bien ! quoi ? semblait-il dire. Ra-ca-dot ! qu’ai-je de commun avec cet individu ?  »

Il faut l’avouer, ce camarade ne leur valait jamais de compliments. Madame Alison, qui appréciait mal Sturel, parce qu’elle le trouvait « peu naturel », revint dans ce temps-là sur l’incident mesquinement soulevé par le baron de Nelles sur les fonds secrets.

— Avez-vous obtenu votre subvention pour votre journal, monsieur Sturel ?

— Je ne le verrais plus ! s’écria la jeune fille.