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QUINZE JOURS DE CRISE

voulut les mettre dehors : Racadot promit qu’il lui donnerait de l’argent pour les deux heures, parce qu’il attendait un télégramme. À deux heures, rien n’étant arrivé, pour éviter une nouvelle explication, tous trois sortirent. On mit des restes de charcuterie dans l’éternelle serviette de Racadot. La Léontine demeura dans la rue Saint-Joseph, à guetter le petit télégraphiste espéré.

À chaque instant, d’un ciel d’orage, tombaient des averses. Les deux hommes allèrent jusqu’à la porte de Bouteiller, mais furent heureux d’apprendre qu’il était absent : Racadot sentait qu’à importuner son protecteur, il le mécontenterait sans résultat. Comme ils se retiraient lentement, ils le virent qui sortait de chez lui. Racadot prit tout son courage et l’aborda pour lui demander si le baron de Reinach ne pourrait pas aider la Vraie République. Bouteiller, très pressé, s’étonna de la transformation qu’avait subie le journal, et déclara avec une humeur mal dissimulée qu’il ne voyait pas en quoi le financier pouvait intervenir.

Les deux malheureux, avec les derniers sous de Racadot, se rendirent vers l’heure de l’apéritif à la terrasse du Café Cardinal, dans l’espoir qu’une affaire leur serait proposée. En vain, ils se tortillèrent comme deux vers coupés. Chacun s’en alla dîner. L’idée leur vint d’annoncer une conférence de Racadot, avec des entrées a vingt sous : la Léontine les placerait à des amis près de qui ils n’osaient plus mendier sans prétexte. Plus tard, nul télégramme n’étant arrivé, ils allèrent s’abriter, pour manger, dans un coin de la gare du Nord. La Léontine se plaignait de frissons, d’une courbature, d’une forte