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LES DÉRACINÉS

Le 17, au premier courrier, Racadot reçut la réponse à sa lettre du 15.

« Je ne trouve pas d’argent. Charge-toi de le dire à ta vendeuse. Tout le monde prête à l’État. Et puis, après que tu as vendu nos biens pour ton journal, on se défie. Moi-même, dans mes affaires, j’en ressens du tort. Je comptais, en te remettant l’héritage de ta pauvre mère, l’année dernière, que, s’il me manquait un ou deux billets de mille dans un moment pressé, tu me les enverrais, et tu t’es mis dans les embarras. Tu t’es lié avec des promesses que tu savais bien ne pouvoir pas tenir. Tu commences bien mal. Tu es tourmenté ; mais je le suis aussi.

« Tu me dis d’aller à Paris ; crois donc qu’à mon âge je préfère rester au pays. Je connais tout le monde et je ne m’ennuie pas où je suis. Tant que je pourrai suivre les affaires, je tacherai toujours de gagner quelque chose. Je vais doucement, je travaille sans ambition.

« Tu me parles de ta position qui se fera ! D’après ce qu’on m’a dit, il y a cette semaine encore des journalistes qui ont mal tourné à Nancy. Cela ne donne pas confiance ; mais enfin, dans tous les métiers il y en a qui font mal. Pour moi, j’ai pensé toujours que tu trouverais plutôt une position au pays qu’à Paris. Tu dois bien voir quelle différence. Si tu étais resté ici, tu aurais déjà des bénéfices. M. Engelault, de Pont-à-Mousson, voulait payer un clerc dix-huit cents francs. Tu verrais notre bourse grossir, tu aurais été des plus riches. »

Ce jour-là, comme il l’avait annoncé, l’imprimeur