Page:Barrès - Les Déracinés.djvu/383

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
373
QUINZE JOURS DE CRISE

« Ma faute, se répète-t-il avec âpreté, c’est de m’être associé à des faibles qui m’abandonnent. »

Il a tort de s’aigrir. Pourquoi veut-il croire son cas singulier ? La principale difficulté pour un homme de gouvernement, c’est d’être bien servi. Prendre des décisions, voilà sans doute le premier point, et si essentiel qu’il les faudrait adopter médiocres, détestables, plutôt que de tergiverser. Mais la difficulté presque insurmontable, c’est de faire exécuter ses ordres. Un ministre est entravé à chaque minute par un personnel qui, sottise, plaisir de nuire, désobéit ou trahit.

Malheureusement, Racadot ne trouve pas de consolation à philosopher, parce qu’une pensée l’empoisonne : « À qui le journal a-t-il profité ?… À Rœmerspacher, Suret-Lefort, Sturel, qui, de ma barque, en la repoussant du pied, vont sauter dans un bon bateau. Mais moi, je coule lentement… » De son milieu parisien, Racadot n’espère plus rien. Dans toute cette crise, il est tourné vers Custines. La bête inquiète revient à son lancer. S’il trie avec cette vivacité son courrier, où peut-être se trouvent des propositions de beaux chantages, s’il ouvre avant toutes une lettre de son père, c’est qu’il lui a demandé avec éloquence de l’argent. Depuis deux jours, dans ce bureau, désespérément il attend cette réponse. Avec quel dangereux mouvement du côté du cœur, il déchire l’enveloppe !

« Je reçois, mon cher Honoré, une dépêche dans laquelle tu me presses de faire l’envoi que tu m’as demandé. Je ne t’avais pas répondu parce que tu as déjà voulu ta part, et maintenant que je te l’ai remise, je ne puis plus avoir d’argent. Tu me dis de prendre