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LES DÉRACINÉS

des indices. Attaqué de toutes parts, le demi-million — aujourd’hui un million — s’émiette en fractions infimes, sans emploi réellement utile. Aussi la coutume est-elle établie qu’un ministre énergique lève sur les financiers des contributions importantes dont il use, selon sa moralité, pour ses besoins personnels, pour l’intérêt de son parti ou pour le bien public.

Racadot fut sur l’heure inscrit à la place Beauvau. Quai d’Orsay, et devant les gens de la carrière, Bouteiller compte moins qu’auprès des politiciens purs. Tout avril, on différa de le satisfaire. Racadot, d’ailleurs, était un mauvais client : il attaquait la maison depuis trois mois ; on n’aime pas à payer pour que des campagnes soient interrompues, parce que c’est primer les attaques. L’affaire pendait encore, quand, au début de mai, à l’une des soirées hebdomadaires de la villa Sainte-Beuve, le baron de Nelles, toujours attaché au cabinet du ministre, dit à Sturel, devant les dames Alison, d’un air mystérieux :

— Votre affaire va bien.

— Quelle affaire ? — interrogea le jeune homme, déjà sur la défensive, en face de ce garçon à la grosse face irritante de contentement.

Tant il le pressa que l’autre s’expliqua :

— Nous arriverons à vous donner la forte somme pour la Vraie République.

— C’est une indignité ! nous n’avons rien demandé.

— Je ne puis pas croire — s’écriait mademoiselle Alison avec dédain — que M. Sturel sollicite l’argent de votre ministre !

— Je vous demande pardon ; je regrette de contrarier M. Sturel qui, je le vois bien, y est étranger, mais je ne puis passer pour inexact. Une demande de sub-