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LES DÉRACINÉS

pour son compte personnel chez Marius Fontane, n’entendait pas s’user pour Racadot. Il se proposait de le mettre dans la filière, pour en avoir le mérite, et de s’effacer aussitôt, afin que les bureaux de Panama ne lui disent pas plus tard : « On vous a déjà donné, bonhomme ! »

Sous le titre de publicité, la Compagnie comprenait les concours qu’elle recherchait ou qu’elle devait subir. Elle employa en réclames de presse, en achats de ministres, de députés et de gens du monde 23 millions d’après ses livres ; encore faut-il supposer que beaucoup de dépenses de cet ordre durent être dissimulées et qu’on les inscrivit sous d’autres rubriques. La gestion d’un service aussi considérable fut confiée d’abord à M. Lévy-Crémieux, puis, pour l’émission de septembre 1884, comme le dit fort bien Renaudin, à M. Marius Fontane. C’est à partir de 1886 que M. de Lesseps, jugeant les circonstances critiques, prit en main ce service essentiel et le dirigea jusqu’à la catastrophe, avec l’aide du baron de Reinach. On dressait un budget de prévision : aux journaux et aux revues des sommes étaient attribuées d’après leur tirage et aussi d’après l’influence supposée à tel directeur politique ; on tenait compte ensuite des bulletiniers, puis de certains agents. Ceux-ci recevaient des sommes dont le détail n’était pas prévu et qu’ils répartissaient çà et là, en se promenant dans les divers mondes parisiens, au mieux des intérêts généraux. Cette première liste des élus, approuvée, n’était pourtant pas close. Les administrateurs eussent bien voulu s’y tenir, mais pressés de sollicitations, de menaces, ils ajoutaient des noms, augmentaient des sommes. Dans l’intervalle des