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SON PREMIER NUMÉRO

Sturel, qui n’a pas encore éliminé le poison d’Astiné, le goût oriental de la mort, se désintéresse de ce qu’il appelle « le catholicisme administratif » pour louer la poésie de l’ascétisme, la doctrine du sacrifice volontaire, toutes ces parcelles de pessimisme auxquelles Saint-Phlin répugne, car, de nature, il n’attribue une force agissante qu’à l’optimisme.

Suret-Lefort, de qui la mémoire, véritable Conciones, est pleine de magnifiques appels religieux, se montre pourtant incapable de comprendre l’importance d’une théologie et que c’est la base de toute civilisation. Intérieurement, il ricane. Mais il s’est imposé d’être aussi parfaitement aimable avec les individus, fussent-ils ses adversaires, qu’il serait implacable sur les principes. Et il a bien raison : on pardonne tout, excepté les froissements personnels. Dans cet esprit, il déclare :

— Il est évident que chacun de nous a ses vues sur la religion. J’admire Saint-Phlin ; je demande seulement que nul n’ait à endosser les idées de ses collaborateurs. Je ne pourrais pas écrire à la Vraie République s’il n’était bien entendu que la profession de Saint-Phlin l’engage seul.

Saint-Phlin, qui connaît mal les usages de la presse, offre de s’effacer. Sa délicatesse s’alarme :

— Je ne veux gêner personne : je me retire.

Rœmerspacher et Sturel ne peuvent consentir à sa retraite. Ils apprécient la saveur naturelle de leur ami. Dans ses idées, ils reconnaissent quelque chose de la beauté d’une vieille maison bourgeoise bâtie au XVIIe siècle, qui ne fut jamais élégante, mais qui a la noblesse de ses bons matériaux où rien n’est frelaté. Rœmerspacher disait :