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LES DÉRACINÉS

D’où, cette année-là, de nombreux déplacements et des révocations.

Ses menées étaient secrètes ; il ne s’en expliquait pas au préfet, et pas davantage à la loge. Il fit chasser le portier du lycée, un nommé Fanfournot, type singulier, bonapartiste enragé, qui amusait beaucoup, et ne scandalisait guère. En vain, des professeurs apitoyés essayèrent-ils d’éviter une telle rigueur au vieux soldat, qu’ils présentaient comme une sorte d’imbécile sympathique. Rien n’y fît et, sur un ordre, le portier dut décamper avec son fils de douze ans, Louis Fanfournot, qui, par la même catastrophe, perdit sa bourse. C’était un enfant très doux, très nerveux, et dans la cour des petits on eut les larmes aux yeux, en le reconduisant à la grille, un dur soir d’hiver. M. Bouteiller fut soupçonné : ses collègues, entre eux, le blâmaient ; tous ses élèves nièrent sa responsabilité ou reconnurent son austère sentiment du devoir, des implacables exigences du devoir.

Ce rôle de dénonciateur n’inquiétait pas sa conscience : elle se fiait tout entière à une règle morale acquise dans des méditations de cabinet et qu’elle ne remettait jamais en discussion. Quand M. Bouteiller était encore élève, un de ses condisciples déroba une montre, fut convaincu, puis, sur ses pleurs et ses supplications, pardonné par le volé ; mais lui, solennellement, porta plainte au proviseur, exigea l’expulsion du coupable.

Avec quiétude, il faisait reposer toute sa conduite comme son enseignement sur le principe kantien qu’il formulait ainsi : « Je dois toujours agir de telle sorte que je puisse vouloir que mon action serve de règle universelle. » — Dans les cas