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« LA VRAIE RÉPUBLIQUE »

oratoire la forçaient à épouser, pour un instant, la doctrine avec la cadence. Saint-Phlin, les yeux pleins de larmes, Rœmerspacher, Sturel, qui méprisaient la Conférence Molé, admirèrent leur ami et ressentirent une sorte de déférence pour un talent qu’ils ne lui soupçonnaient pas. Ils le prièrent d’aller plus avant et de leur faire encore entendre les accents d’un juste justement sacrifié… Toutes ces formules fameuses leur donnaient l’enivrante illusion que ce qui exalte l’âme est nécessairement une vérité :

« L’innocence sur l’échafaud fait pâlir le tyran sur son char de triomphe. Aurait-elle cet ascendant si le tombeau égalait l’oppresseur et l’opprimé ?…

« Un grand homme, un véritable héros s’intéresse trop lui-même pour se complaire dans l’idée de son anéantissement !…

« Plus un homme est doué de sensibilité et de génie, plus il s’attache aux idées qui agrandissent son être et qui élèvent son cœur, et la doctrine des hommes de cette trempe devient celle de l’univers…

« L’idée de l’Être Suprême et de l’immortalité de l’âme est un appel continuel à la justice : elle est donc, cette idée, sociale et républicaine. »

Cette forte politique, à laquelle l’accent de Suret-Lefort restituait une atmosphère de tragédie, redonna aux jeunes gens mis en désarroi par l’accueil de Bouteiller un haut sentiment de leur tâche.

Gallant de Saint-Phlin dit précipitamment :

— Mon aïeule a été guillotinée en 93. Nous sommes une vieille famille du Barrois autonome. Ainsi la Révolution nous a été imposée ; et la France aussi nous a été imposée. Mais enfin, bien que la