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LES DÉRACINÉS

car depuis Nancy elle était mêlée à des parties profondes de leur être :

— Vous êtes Parisiens, messieurs… les années ont passé, et vous voilà des hommes. Quels devoirs avez-vous acceptés ? Comment servez-vous votre pays ?

Il avait été convenu que Rœmerspacher parlerait le premier.

Il approcha sa chaise jusqu’à s’appuyer du bras sur le bureau de Bouteiller et, avec un embarras qui peu à peu se dissipait :

— Quand vous avez quitté le lycée de Nancy, vous avez dit à vos élèves que vous aimeriez à ne les perdre jamais de vue. Nous sommes ici une demi-douzaine : Suret-Lefort, qui s’est inscrit au barreau…

— Je le vois quelquefois, interrompit Bouteiller,

— … Mouchefrin, qui avait commencé sa médecine et qui doit gagner son pain ; Racadot, qui a quitté le droit pour la même raison ; Sturel, qui termine sa licence ; et moi-même, Rœmerspacher, qui tout en faisant ma médecine, m’intéresse plus particulièrement aux sciences historiques. Aujourd’hui, les études de mes amis sont à peu près terminées ; ils veulent entrer dans la vie, ou — pour employer une expression plus prétentieuse, que vous jugerez exacte, — trouver un motif de vivre ; jusqu’à cet instant nous remettions de vous déranger.

— Je sais, dit Bouteiller, que M. Suret-Lefort veut plaider ; l’on m’a dit son élocution agréable et qu’il possède du sang-froid et, qualité plus rare à son âge, de l’autorité. Je sais aussi que M. Mouchefrin a la vie difficile. Mais vous, qu’allez-vous faire ?

— À nous tous nous organisons un journal.

— Ah ! dit Bouteiller.